Book Review

Kaoutar Harchi : écrire pour « venger sa race »

Dans un récit autobiographique récemment traduit en anglais, l’écrivaine et sociologue française revient sur son enfance auprès de parents nés au Maroc. Une puissante réflexion politique sur les hiérarchies et le racisme persistant dans la France postcoloniale.
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© Jean-Luc Bertini

Calfeutrée dans l’appartement familial, une petite fille regarde le film du mariage de ses parents, Hania et Mohamed. Des images réconfortantes, usées à force d’être visionnées, qu’elle repasse en boucle comme d’autres réclament inlassablement le même conte au moment du coucher. Ainsi commence Comme nous existons, premier texte autobiographique de l’écrivaine Kaoutar Harchi, née à Strasbourg en 1987, de parents d’origine marocaine. Le jour de son entrée en sixième, dans un collège catholique, sa mère adorée lui confie un petit objet enveloppé dans un tissu blanc et entouré de fil rouge. Quand le professeur le lui confisque pour la punir de ses bavardages, elle découvre qu’il s’agit d’un coran miniature, ce qui lui vaut d’être traitée de sorcière. « Je suis devenue une petite exclue de l’intérieur lancée sur la pente abrupte de l’absence », constate Kaoutar Harchi. De telles scènes, d’une violence feutrée, l’adolescente en vivra bien d’autres. Comme le jour où cette enseignante de lycée aux mains baguées lui donne un livre où est inscrite cette dédicace : « A ma petite Arabe qui doit connaître son histoire. »

A partir de sa trajectoire singulière – enfance choyée, études brillantes – Kaoutar Harchi met au jour les impensés qui continuent de peser sur la société française postcoloniale, la persistance d’un inconscient raciste, d’un privilège blanc et bourgeois. Traversé par la loi de 2004 interdisant le port du voile à l’école, les révoltes de 2005 qui ont éclaté dans les banlieues françaises suite à la mort de deux adolescents poursuivis par la police, ce récit puissamment politique bascule quand l’autrice-narratrice entre à l’université. Elle y est projetée dans une « île enchantée », découvre les travaux du sociologue algérien Abdelmalek Sayad et de Pierre Bourdieu, s’intéresse aux « sociologies de l’immigration, de l’école et de la famille ». Tiraillée entre la nécessité de partir et la peur de trahir, elle commence à écrire : « Je me convainquais que la peine ressentie, née de l’effort d’écrire, serait bientôt balayée par ce formidable sentiment de revanche, et même de vengeance – venger ma race – que l’acte d’écrire me permettrait d’accomplir. »

Devenue sociologue et écrivaine, Kaoutar Harchi n’est pas une transfuge de classe, un terme qu’elle récuse, dans un entretien à Frustration Magazine, comme étant « un concept blanc ». S’il s’achève sur son départ à Paris, Comme nous existons n’est pas le récit d’une rupture. C’est au contraire une tentative de poursuivre le film familial en produisant par la littérature l’image manquante.

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Comme nous existons de Kaoutar Harchi, Actes Sud, 2021. 144 pages, 18 euros.


Article publié dans le numéro d’avril 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.