Objet Culte

La marinière bretonne aux couleurs de la Gay Pride

Symbole de l'émancipation féminine en France, la marinière bretonne revêt les couleurs de l’arc-en-ciel à l’occasion du 50e anniversaire des émeutes de Stonewall, coup d’envoi du mouvement des droits homosexuels aux Etats-Unis.
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Courtesy of MoMA Design Store

Cinq cents marinières multicolores ont été livrées à la boutique du MoMA de New York, où le pull rayé bleu et blanc est déjà vendu depuis 2017. C’est la maison bretonne Armor-Lux, fondée à Quimper en 1938, qui a reçu la commande. «  La démarche du MoMa colle bien à nos valeurs », a expliqué le directeur de l’entreprise dans un entretien au quotidien Ouest France. « C’est un joli pied de nez à Donald Trump qui vient d’interdire le drapeau arc-en-ciel [symbole de la communauté LGBTQ depuis 1978] sur les ambassades américaines en plein mois des fiertés.  »

Avant de porter haut les couleurs de l’arc-en-ciel, avant de devenir un symbole de résistance féministe dans les années 1910, la marinière était un vêtement de travail. Elle tient chaud aux marins bretons depuis des siècles. En 1858, un décret officiel de la Marine nationale l’intègre à l’uniforme des matelots. La réglementation militaire rigoureuse stipule que le vêtement, en jersey, doit comporter très précisément « 21 raies blanches larges de 20 millimètres et 20 ou 21 raies bleues larges de 10 millimètres ». Ses manches trois-quarts ne doivent pas dépasser de la vareuse et son col doit monter « au ras du cou ».

Il faut attendre les années 1910 pour que Coco Chanel donne ses lettres de noblesse au pull rayé. La mode du bord de mer gagne alors la capitale. A Deauville, où elle possède une boutique, Coco Chanel s’approprie dans un acte militant ce vêtement de travail masculin. La créatrice trouve ainsi une alternative au costume de bain, incarnant à ses yeux une certaine vulgarité, et au corset, synonyme de souffrance et d’inconfort. Faisant fi des conventions, Coco Chanel arbore fièrement sa marinière – une blouse de soie au col marin – lors de ses promenades sur la plage, pendant l’entre-deux-guerres, sous le regard médusé des passants incrédules. Après le port militaire, la marinière devient synonyme d’insubordination.

Le style Nouvelle Vague

Dans les années 1950, c’est au tour de Picasso d’arborer les lignes horizontales. Féminine et rebelle, la marinière séduit naturellement les cinéastes de la Nouvelle Vague. Godard la fait porter à Jean Seberg dans A bout de souffle en 1960 et à Brigitte Bardot dans Le Mépris en 1963. Mais c’est sans doute Jeanne Moreau, en femme affranchie dans Jules et Jim (1962) de François Truffaut, qui la porte le mieux, avec son pantalon d’homme, son gros pull et sa casquette. Plus tard, Charlotte Gainsbourg, adolescente fragile dans L’Effrontée de Claude Miller (1985), évoque les vacances au bord de la mer.

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Charlotte Gainsbourg dans L'Effrontée, 1985.
La collection « Toy Boy » de Jean-Paul Gaultier, en 1983.

C’est à Yves Saint-Laurent qu’on doit les débuts de la marinière sur les catwalks. En 1962 et 1966, il revisite la casquette, le caban, le pantalon de lainage, le double boutonnage et ajoute des paillettes à la marinière qui prend des allures de robe pull. Mais c’est surtout Jean-Paul Gaultier qui s’entiche de la pièce jusqu’à en faire sa marque de fabrique, en la portant lui-même. En 1983, il crée la collection « Boy Toy » et habille les hommes avec des marinières moulantes tombant au-dessus du nombril, mariant ainsi la marinière aux codes punks et homosexuels. La marinière devient une pièce emblématique de la maison, réinterprétée au fil des collections et dans tous les matériaux : en autruche, en dentelle, avec des cristaux Swarovski, des paillettes. Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel ou Kenzo lui offrent à leur tour des épaulettes et des sequins.

Un vêtement made in France

Classique et irrévérencieuse, la marinière incarne l’esprit français et devient un symbole de la production française avec des entreprises comme Orcival, fondée à Paris en 1939. En octobre 2012, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg, vantant le savoir-faire français, l’arbore fièrement sur la couverture du Parisien Magazine.

Depuis, les marques déclinent le tricot rayé dans toutes les couleurs. Ainsi, Petit Bateau troque volontiers ses rayures traditionnelles bleu indigo pour des rayures noires, vertes, jaunes ou rouges. Mais pour les inconditionnels du vêtement breton, les véritables marinières restent celles griffées Armor-Lux – la marque fondatrice située à Quimper – ou Saint James – maison implantée près du Mont-Saint-Michel depuis 1889.