Portfolio

Le grand détournement de Gab Bois

Artiste et créatrice, la Montréalaise Gab Bois se met en scène dans des pièces insolites et surréalistes : short en feuilles de laitue, soutien-gorge en peau d’orange, haut court en rubans de bonbons acidulés, cardigan en mousse végétale, chapeau creusé dans une citrouille... Un vestiaire détonnant qui a attiré l’attention de Jean Paul Gaultier, Louboutin, Balenciaga et Marc Jacobs – et qui donnera naissance au mois de septembre à une marque d’accessoires.
© Gab Bois

Tout a commencé avec un faux logo Nike, un sac plein de petites virgules métalliques déniché dans un magasin de Montréal. De retour chez elle, la jeune femme fixe ces breloques sur l’appareil dentaire qu’elle porte alors la nuit, se prend en photo – lèvres roses et charnues, bouche entrouverte à la Brigitte Bardot – et poste le résultat sur Instagram. « Peu de temps après, Nike m’a approché pour obtenir le droit de reproduire cette image sur deux chandails », se souvient-elle. « C’était comme un 360 degrés, la vraie marque qui s’intéresse à mon image avec le logo détourné ! »

Nous sommes le 13 décembre 2017. Gabrielle Bois a vingt ans et égaye les réseaux sociaux avec ses autoportraits et mises en scène à la fois comiques et insolentes : perruque en spaghetti, brosse à dents hérissée de clous, interrupteur glissé dans la braguette de son pantalon, shooter de vodka dans une coupe menstruelle… La réaction de Nike, la première « marque établie » avec qui elle collabore, la conforte dans sa décision : elle interrompt ses études à l’université du Québec à Montréal et multiplie les créations. Pour le plus grand bonheur de ses 647 000 followers.

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© Gab Bois
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© Gab Bois
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© Gab Bois
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© Gab Bois

Après quelques années de petits boulots alimentaires, elle vit pleinement de son travail et a recruté deux assistantes au mois de mai. Une aide technique qui lui permet de signer des pièces de plus en plus ambitieuses – deux robes en masques chirurgicaux pour la saison des bals de fin d’année, par exemple – et d’accepter de nouvelles collaborations : « Je viens de finir un projet avec Fenty, la marque de cosmétiques de Rihanna. J’ai aussi travaillé avec Mulberry, une marque anglaise de sacs à main, et je m’apprête à collaborer avec le magazine de décoration d’intérieur The Modern House et la marque italienne de streetwear GCDS. »

Fauteuil en popcorn et robe en jetons de Scrabble

Gab Bois – son nom d’artiste – a découvert la photographie « comme ça, de façon super intuitive, vraiment pour le plaisir ». Elle étudie alors l’art au Cégep à Montréal et prend ses premières images avec l’appareil de ses parents, « une caméra de vacances digitale des années 2010 ». Elle peine avec les cours de théorie et de technique, qu’elle trouve rébarbatifs, mais excelle en peinture et en sculpture. Elle admire depuis l’enfance les toiles d’Arcimboldo, toutes en fruits et en légumes, et s’identifie aux autoportraits de la photographe américaine Cindy Sherman.

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© Pegah Farahmand

Gab Bois a longtemps travaillé seule. Elle chine dans les boutiques et les épiceries à la recherche d’inspirations, s’approvisionne en produits de récupération ou qui arrivent à expiration et façonne elle-même ses créations : une semaine de travail pour le fauteuil couvert de popcorn, deux pour la robe en jetons de Scrabble ! Elle prend ensuite la pose et déclenche à l’aide d’une application sur son téléphone. « Les autoportraits étaient la façon la plus efficace de réaliser mes idées. J’aime aussi la démarche. Mon regard par rapport à moi-même et à mon corps a beaucoup changé. »

A 25 ans, elle évolue aujourd’hui « à la croisée de plusieurs disciplines ». La photographie reste son domaine de prédilection : elle lui permet d’immortaliser ses créations, la plupart réalisées sans trucages numériques et souvent éphémères, comme ce short en feuilles de laitue et petits pois qu’elle a cousu pour Marc Jacobs. Mais elle s’oriente aussi vers la création d’accessoires et de mobilier. Ses lunettes-pellicules sont vendues par la marque new-yorkaise Studiocult et en juin dernier, elle exposait au Salon du meuble de Milan un fauteuil transparent inspiré par les salades de gélatine populaires dans l’Amérique des années 1950.

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© Gab Bois
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© Gab Bois
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© Gab Bois

La jeune femme travaille aussi à un projet de mobilier à Montréal et lancera en septembre une ligne d’accessoires de mode : chaussures, sacs à main, bijoux et lunettes de soleil. Sans oublier sa première exposition individuelle aux Etats-Unis, qui s’est tenue en août à Gifted BK, une galerie de Brooklyn. Autant de « dimensions » qu’elle décline avec la même créativité débridée pour toucher une autre cible que les instagrammeurs. « Je fais en sorte de créer un langage qui puisse se traduire dans plusieurs industries », explique-t-elle. « Comme les Lego : les mêmes briques de couleur peuvent donner naissance à des fleurs ou à des personnages de Star Wars ! »

 

Portfolio publié dans le numéro d’août 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.