Le film suit la journée de trois policiers en patrouille à Montfermeil (Seine-Saint-Denis) près de Paris, d’où est originaire et où vit toujours le réalisateur de 39 ans. Une bavure policière filmée par un enfant du quartier va mettre le feu à la poudrière. Réalisé quinze ans après les émeutes de 2005, Les Misérables a suscité en France de fortes réactions, largement enthousiastes. Il a remporté le prix du jury au festival de Cannes l’an dernier et Amazon a déjà acheté les droits du film pour les Etats-Unis.
France-Amérique : Les Misérables fait référence au roman de Victor Hugo (1862). Pourquoi ?
Ladj Ly : J’avais ce titre en tête depuis bien longtemps. Il se trouve qu’une partie des Misérables se déroule à Montfermeil [Jean Valjean se cache dans cet « endroit paisible et charmant, qui n’était sur la route de rien »]. La misère est toujours présente sur ce territoire. On peut faire aussi le parallèle entre Gavroche dans le roman et le personnage du petit Issa dans le film. C’est un clin d’œil.
Le film est ancré dans une réalité sociale française. Comment le présenter aux Américains ?
C’est un film patriote qui montre une image de la nouvelle France multiculturelle, un film réaliste puisque tout est inspiré de faits réels. C’est avant tout un témoignage que je voulais apporter sur la situation de ces quartiers. On parle beaucoup d’eux dans les médias ou chez les politiques mais très peu de gens savent comment cela se passe à l’intérieur. Une vingtaine de projections à l’étranger a eu lieu. Les gens se reconnaissent à travers cette histoire, la misère sociale, les violences policières, la place de l’enfance. Je voulais être le plus juste possible sans prendre parti.
Le film policier est un genre prisé par le cinéma et la télévision américaine. Vous ont-ils influencé ?
Je ne regarde pas la télévision. Spike Lee [cinéaste spécialisé sur l’histoire et la culture afro-américaine] est évidem-ment une référence. Il a vu le film trois fois, il l’a beaucoup aimé. Nous avons fait une masterclass ensemble à New York University. Il nous soutient pour les Oscars. Les deux films qui m’ont le plus inspiré avant l’écriture du scénario, c’est Training Day d’Antoine Fuqua (2001) et Detroit de Kathryn Bigelow (2017), particulièrement la scène en huit clos dans le motel entre la police et les jeunes.
Vous apparaissez dans le film sur une photographie murale de JR, votre caméra braquée sur un contrôle de police…
J’ai acheté ma première caméra à dix-sept ans et depuis j’ai toujours filmé ce territoire. J’ai fait du cop watch [pratique qui consiste à filmer les interventions policières à des fins de responsabilisation] pendant dix ans. J’ai commencé alors que je ne savais même pas que ce phénomène existait ailleurs. La photographie de JR me représente bien, avec ma caméra comme une arme sur ces gamins violentés par les policiers. En même temps, c’est une caméra de surveillance, une caméra qui témoigne. Le personnage de Buzz qui filme tout avec son drone est joué par mon fils, Al-Hassan Ly. Ça avait du sens de tourner avec lui.
Pourquoi avoir créée l’école Kourtrajmé [« court-métrage » en verlan] à Montfermeil ?
Il y avait un manque dans le cinéma. C’est un milieu difficile d’accès. On voulait donner une chance à cette nouvelle génération pour qu’elle puisse se former aux métiers et produire ses propres films. C’est une école gratuite, ouverte à tous les majeurs, sanscondi-tion de diplôme. On accompagne leurs projets personnels, on organise des masterclass. La première année, trente jeunes ont été formés, la deuxième, une cinquantaine. Certains font une série au Sénégal, deux font du documentaire. On a déjà réalisé cinq courts-métrages, on développe deux longs-métrages. C’est ce que j’ai toujours fait et que je continue à faire. Je ne fais pas de politique, je reste un artiste. Les Misérables a fait réagir beaucoup de responsables politiques, même le président de la République [selon Le Journal du Dimanche, Emmanuel Macron s’est dit « bouleversé par la justesse » du film]. C’est bien que le message soit entendu, maintenant on attend de voir des actes.
Entretien publié dans le numéro de janvier 2020 de France-Amérique.