A l’occasion des Journées européennes du patrimoine, les 15 et 16 septembre, la France organise une loterie dont les recettes aideront à la restauration de sites historiques français en péril.
En France, des milliers de monuments situés en zone rurale ou dans de petites agglomérations tombent en ruine : des ponts et des pigeonniers, des abbayes et des fontaines, des théâtres et des synagogues, des manufactures, des remparts, des orangeries, des serres, des moulins, des viaducs, des châteaux, des centaines d’églises et de chapelles… Pour tenter de les sauver, le président de la République Emmanuel Macron a confié l’an dernier au présentateur d’émissions historiques à succès Stéphane Bern une mission de sauvegarde du patrimoine. L’animateur inaugure ce mois-ci le Loto du Patrimoine dont les recettes seront reversées à 250 monuments triés sur le volet. Entretien.
France-Amérique : En quoi consiste le Loto Patrimoine ?
Stéphane Bern : C’est un jeu de grattage dont les tickets seront vendus quinze euros depuis le début du mois de septembre, avec un tirage spécial effectué lors des Journées européennes du patrimoine, le 15 et le 16 septembre 2018. Les recettes seront versées à un fonds spécifique « Patrimoine en péril », géré par la Fondation du patrimoine. Dix-huit projets emblématiques seront entièrement financés. La DRAC (Direction régionale des affaires culturelles en France) traitera les autres dossiers au cas par cas. Au total, 250 monuments bénéficieront des recettes engrangées par le Loto Patrimoine. L’espoir est aussi de favoriser les dons, notamment de la part de mécènes anglo-saxons.
Vous avez reçu 2 000 dossiers. Comment la sélection s’est-elle opérée ?
Nous avons sélectionné les urgences. Je souhaitais que les monuments emblématiques de toutes les régions soient pris en compte. Pas seulement ceux des treize régions administratives en métropole, mais également ceux d’Outre-Mer comme la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Mayotte, y compris Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Parmi les sites à secourir, on peut noter le Fort-Cigogne à Fouesnant (Finistère), le château de Carneville (Manche), les forges de Varenne, à Champsecret (Orne), la maison de Pierre Loti à Rochefort (Charente-Maritime). Je voulais traiter toutes les typologies de patrimoine. Pas seulement le patrimoine castral ou religieux mais également les patrimoines ouvrier, industriel et archéologique. Celui auquel on n’attache pas assez d’importance : les ponts, les lavoirs, les fontaines, les fours à pain. Sans oublier les jardins !
Pourquoi faire la distinction entre patrimoine urbain et rural ?
Ces deux types de patrimoine n’obéissent pas aux mêmes enjeux. Un hôtel particulier parisien très fréquenté génère un profit suffisant pour son entretien. Ce n’est pas le cas d’un château situé en zone rurale et visité seulement par 5 000 touristes par an. C’est la raison pour laquelle il faut aider ses propriétaires à financer ses travaux de restauration. Les collectivités locales ont vu leur dotation d’Etat fondre comme neige au soleil.
Pensez-vous que la culture française, frileuse au financement privé, puisse être un obstacle au succès du Loto Patrimoine ?
Je ne crois pas. Comment l’Etat pourrait-il être frileux sur des questions de financement privé du patrimoine alors que le budget global attribué au patrimoine n’est que de 326 millions d’euros par an ? A eux-seuls, les coûts de rénovation du Grand Palais s’élèvent à 466 millions d’euros dont 25 millions proviendront de Chanel, une entreprise privée ! Cela me rappelle une situation analogue. Après la Première Guerre mondiale, les Rockefeller ont sauvé le château de Versailles [voir notre article « La splendeur américaine de Versailles », France-Amérique, décembre 2017]. Le mécénat américain est toujours venu compenser le manque de moyens publics en France. Il faut dire que la législation américaine en matière de philanthropie et de mécénat permet beaucoup plus de choses. Les trusts et les fondations sont entièrement défiscalisés. Cela aide à la fois les œuvres sociales et les œuvres culturelles.
Le modèle anglo-saxon peut-il être appliqué en France ?
On pourrait adopter le meilleur du modèle anglo-saxon. Nous essayons d’aller dans ce sens. Par exemple, en France, la Fondation du patrimoine a lancé au mois d’avril une campagne nationale de crowdfunding, Ensemble, sauvons notre patrimoine. Cet appel au mécénat populaire a pour but de compléter le fonds dédié au patrimoine en péril.
Pensez-vous que l’on doit réformer et américaniser la politique culturelle française ?
Je ne pense pas. Le premier axe de développement serait de modifier la loi sur les déductions fiscales. C’est la règle du 5 pour 1 000 qu’il faut changer. Une entreprise bénéficie d’une réduction d’impôt de 60% sur ses dons de mécénat, avec un plafond de 5 euros pour 1 000 euros de chiffre d’affaires hors taxes. Cela profite uniquement aux grandes entreprises. Il faudrait également arrêter de penser au patrimoine en terme de coût mais l’envisager en terme de profit. C’est notre pétrole à nous. La méthode anglo-saxonne conçoit le patrimoine comme un investissement. Certes, il représente un coût au début mais il va nous rapporter beaucoup plus. Nous sommes la première destination touristique au monde avec 89 millions de visiteurs par an. Nos monuments constituent la vitrine de notre pays et donc un excellent investissement. Pour faire revivre ces monuments, il faut aussi penser à des solutions économiques pérennes et viables. Leur insuffler une deuxième vie, une nouvelle destination, un nouveau rôle. On peut penser à les transformer en résidence de loisirs, des espaces de co-workings, des sièges sociaux pour des start-up, des résidences d’artiste. Tous les monuments ne sont pas destinés à être visités comme le château de Versailles.
Stéphane Bern a débuté sa carrière comme rédacteur en chef du magazine Dynastie avant de devenir chroniqueur à Madame Figaro en 1989. A la radio — chez Europe 1 et RTL, puis sur sur France Inter où il produit sa propre émission Le Fou du roi—, et à la télévision — Monument préféré des Français, Village préféré des Français, Secrets d’histoire (récits de grandes personnalités historiques : Mozart, Molière, Lafayette), Visites privées (mobilier national) —, il joue les commentateurs mondains pour vulgariser l’histoire de France, non sans humour et toujours avec autodérision. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages et biographies historiques.
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