La francoresponsabilité, un enjeu en Louisiane

Le secret pour assurer l’avenir du français en Louisiane ? La francoresponsabilité. Un terme barbare, né au Québec, pour désigner un objectif simple : développer l’usage de la langue française au quotidien.

Le mercredi soir à Lafayette, en Louisiane, presque tous les clients du Blue Moon Saloon parlent français. Ils se donnent rendez-vous à 19 heures pour la table française, un groupe de conversation, et assistent ensuite au Cajun Jam, une scène ouverte aux musiciens francophones. Les pichets de bière sont servis en français : la serveuse, Breanne Billeaud, a étudié à Lafayette High School, une des vingt-six écoles d’immersion bilingue de l’Etat.

Le Blue Moon Saloon figure sur la carte interactive des commerces, institutions et autres entreprises proposant des services en français en Louisiane. Quatre-vingt-dix adresses sont listées à ce jour : une agence de voyage à New Iberia, un architecte, trois cafés et neuf restaurants à Lafayette, le bureau du sheriff à Abbeville, un service de location de vélo à La Nouvelle-Orléans.

Cette initiative du CODOFIL, le Conseil pour le développement du français dans l’Etat, a pour objectif « d’inciter les Louisianais à parler français en dehors de chez eux », explique Marguerite Perkins, la coordinatrice du projet. Autre objectif : « lier la langue française à l’économie » et encourager le recrutement d’employés francophones.

Une stratégie de développement économique

L’idée que les entreprises ont un rôle à jouer dans la défense de la langue française est récente. En 2009, un hôtel de Québec devenait le « premier établissement francoresponsable des Amériques » et lançait un mouvement qui a depuis essaimé dans le Vermont et dans le New Hampshire. Dans ces Etats du nord-est des Etats-Unis, les magasins affichent dans leur vitrine des pancartes souhaitant la « Bienvenue » aux visiteurs québécois. Une stratégie de développement économique qui porte ses fruits.

Rien de la sorte n’existe en Louisiane. « Je donnais récemment une présentation sur le potentiel du français à un groupe de professionnelles du tourisme à La Nouvelle-Orléans, et aucune n’était au courant des programmes bilingues ou de notre adhésion à l’OIF », témoigne Joseph Dunn, directeur du CODOFIL de 2011 à 2014. « Il y a énormément de travail à faire pour sensibiliser les Louisianais et leur faire prendre conscience des opportunités qu’offre le français. »

Et de citer en exemple la plantation Laura, à une heure de route à l’ouest de La Nouvelle-Orléans, où il est employé comme consultant en relations publiques. Le site, qui offre trois visites en français par jour, accueille 20% de visiteurs francophones. Soit des retombées économiques estimées à 500 000 dollars par an. « Faites l’effort de recruter des francophones et d’offrir des services en français, et les gens viendront », insiste Joseph Dunn. « Ce n’est pas sorcier. »

L’écomusée de Vermilionville et le village acadien à Lafayette, la Houmas House à Darrow et la plantation Whitney à Edgard organisent également des visites en français. Mais ce n’est pas encore assez. « J’ai proposé des réductions d’impôt pour les entreprises qui recrutent des employés francophones il y a quelques années, mais les élus ne voulaient pas en entendre parler », se souvient Joseph Dunn. « Les Louisianais n’osent pas revendiquer leurs racines : ce n’est pas dans la culture américaine, où la notion de minorité linguistique n’est pas aussi développée que chez les francophones du Canada. »

La francoresponsabilité, chacun à son niveau

Marguerite Perkins, responsable du développement communautaire au CODOFIL, œuvre à une moindre échelle. Lorsqu’elle ne recense pas les boulangeries, les médecins et les avocats francophones, elle intervient auprès des entreprises. Elle leur explique comment accorder plus de place au français en traduisant leur site web, leur brochure ou leur menu, en imprimant des reçus bilingues ou en signant leurs courriels en français. « C’est faisable », explique-t-elle. « Beaucoup de petites choses permettent de créer un environnement francoresponsable. »

Si la plupart des francophones de Louisiane militent pour améliorer la visibilité de leur langue, ils sont divisés quant à la stratégie. « Il faut privilégier l’embauche de francophones dans les institutions culturelles et touristiques », insistent les uns. « C’est trop excessif », répondent les autres. « La francisation des entreprises se fera naturellement. » Pour Joseph Dunn, il n’y a pas de temps à perdre. « Sans débouchés professionnels en français, les élèves des programmes d’immersion quitteront la Louisiane. »