La France, comme l’Europe, fut longtemps blanche et chrétienne : elle ne l’est plus tout à fait. J’en veux pour preuve l’audace du président Macron, telle qu’elle ressort de la composition de son nouveau gouvernement. La nouvelle Première ministre est une femme, ce qui est commun dans le nord de l’Europe, mais pas au sud : ce n’est que la seconde fois en France (Edith Cresson fut la première). Cette Première ministre est d’origine juive, ce qui n’est pas totalement nouveau (il y eut deux précédents, Léon Blum et Pierre Mendès-France), mais cette fois-ci, contrairement au passé, nul ne s’en est offusqué. L’antisionisme n’a pas disparu, mais l’antisémitisme est devenu insignifiant, sans aucune influence intellectuelle ou politique. Plus innovant encore : le nouveau ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse, Pap Ndiaye, est noir, d’origine sénégalaise. Il était jusqu’ici un universitaire reconnu, le premier en France à décrire l’histoire et la condition des Africains en France. Le voici chargé d’enseigner aux jeunes Français que l’on peut être noir et français. Sa nomination n’a pas soulevé de tempête significative à connotation raciste.
Dans le même temps, la nouvelle ministre des Outre-mer déclarait, lors de sa toute première allocution, qu’il était temps de regarder en face la responsabilité de la France dans l’histoire de l’esclavage africain. Il est vrai que le président Macron l’avait précédée en déclarant, lors d’un déplacement au Burkina Faso, que la colonisation de l’Afrique fut un « crime contre l’humanité ». Son discours, en rupture totale avec le narcissisme français sur le sujet, passa bizarrement inaperçu ; il marquait pourtant un revirement historique. Jusque-là, les Français étaient persuadés – je l’avais appris à l’école – que nous avions apporté la civilisation aux Africains. Enfin, la nouvelle ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, est d’origine arabe, née au Liban. Le nouveau visage de la France est donc juif, arabe, africain. On sait que la maire de Paris est d’origine espagnole, mais l’Espagne et la France sont traditionnellement européennes. Chez nos voisins, rappelons que le maire de Londres est d’origine pakistanaise et que le ministre britannique des Finances est d’origine indienne.
Comment interpréter cette nouvelle diversité de la classe politique dirigeante en France et en Europe ? Cèderions-nous à la mode intellectuelle du multiculturalisme ? La France et l’Europe changeraient-elles de couleur de peau, de culture, de tradition au risque de perdre leur âme ? Certains le craignent, mais l’histoire nous enseigne le contraire : l’Europe n’a jamais été une ethnie, elle n’a jamais été refermée sur elle-même. Déjà, les empereurs romains venaient d’ailleurs, originaires d’Espagne (Trajan et Hadrien), d’Afrique du Nord (Septime Sévère) ou de Turquie (Valens). Ils n’en étaient pas moins romains. La France, en renouant avec cette tradition antique, ne s’appauvrit pas, mais s’enrichit de ces apports venus d’ailleurs. Et ce n’est pas du tout l’Europe qui se décompose, mais le reste du monde qui s’européanise. Nul ne migre volontairement de l’Europe vers l’Afrique ou la Syrie ; le mouvement est inverse. Les immigrants n’aspirent pas à recréer sur le continent européen leur mode de vie misérable, ni à nous imposer leurs coutumes. Pour un djihadiste détraqué, on compte des millions d’Arabes et d’Africains en quête de démocratie et de laïcité. Voyez les Ukrainiens qui se battent avec l’énergie du désespoir pour, à leur tour, être reconnus comme Européens.
La première déclaration publique de Pap Ndiaye fut pour remercier l’école républicaine française qui l’a façonné ; il est fier d’être le produit de cet enseignement et aspire à ce que tous en bénéficient, quelle que soit leur origine. On lui souhaite de réussir. On lui demande aussi de ne pas sacrifier ses origines sénégalaises car, sans nul doute, la culture française gagnera à s’enrichir de sa contribution africaine. De même, la littérature et la chanson française s’enrichissent sans cesse de voix francophones issues de tous les continents.
Mon propos serait-il excessivement optimiste ? Sans doute est-il marqué par ma propre histoire : je suis un enfant de l’école républicaine française, tandis que mon père venait de Pologne et ma mère d’Ukraine. Mais par-delà mon cas personnel, d’une grande banalité, reproduit sur notre continent à des millions d’exemplaires, je constate que les pays les plus prospères et les plus libres se trouvent être les plus diversifiés : l’Allemagne qui compte des millions de Turcs et de Syriens, la France fertilisée par des millions de Polonais, d’Espagnols, de Portugais, d’Italiens, de Libanais, d’Arabes et d’Africains, ou la Grande-Bretagne, que l’on imagine xénophobe, mais qui a intégré des millions d’Indiens et d’Antillais. A l’inverse, les pays européens les plus pauvres et les moins libéraux sont ceux qui se prétendent les plus attachés à leur ethnie : Hongrie, Pologne, Serbie.
Aimons la diversité, parce qu’elle nous enrichit, économiquement et moralement. Ce cheminement peut s’avérer, comme aux Etats-Unis, semé d’embuches et de résistances, mais le monde de demain sera plus intéressant parce que multicolore.
Editorial publié dans le numéro de juillet 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.