Entretien

Cécile David-Weill : « L’autorité est le crédit que l’enfant nous accorde »

Dans Parents sous influence, récemment traduit et publié aux Etats-Unis, cette Franco-Américaine mère de trois enfants prend le contrepied des idées reçues sur l’éducation. Elle démontre que nous sommes inconsciemment influencés par celle de nos propres parents, souvent pour le pire.
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© Tina Tyrell

France-Amérique : Qui sont ces « parents sous influence » que vous décrivez ?

Cécile David-Weill : Sans s’en rendre compte, de nombreux parents calquent leur comportement sur ce qu’ils ont vécu pendant l’enfance. Ils croient élever leurs enfants selon une philosophie éducative qu’ils ont choisie, mais leurs émotions viennent saboter ces choix éducatifs. On admet aisément le rôle de l’inconscient dans le domaine amoureux, mais on pense avoir plus de libre arbitre en ce qui concerne l’éducation des enfants. Au contraire, c’est le lieu par excellence de la reproduction involontaire de schémas issus de l’enfance. Dans mon livre, j’évoque le cas d’une mère qui se mettait en colère de façon disproportionnée quand ses enfants étaient turbulents, et qui est parvenue à se débarrasser de cet automatisme après avoir fait le lien entre son attitude et celle de son père quand elle était petite.

En quoi ces émotions non examinées ont fait de vous une « mauvaise mère » ?

Petite, j’ai souffert d’une éducation à la française, avec des parents issus d’une génération qui passait peu de temps avec ses enfants. Nous n’étions pas très choyés mais très structurés : j’ai voulu bêtement faire l’inverse. J’ai donc apporté beaucoup d’amour et d’attention à mes enfants, mais je ne leur ai pas donné assez de structure. Dans mon obsession de vouloir être une mère parfaite, un travers universel mais particulièrement fort en Amérique, je me suis beaucoup inquiétée de ne pas en faire assez. Or cette inquiétude était très toxique, car un parent inquiet ne prend pas plaisir à être avec ses enfants et les enfants s’en aperçoivent.

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Cécile David-Weill avec son fils, Pierre de La Baume.

Que pensez-vous de la mode, aux Etats-Unis, des livres qui vantent les bénéfices de l’éducation à la française  ?

Il me serait difficile de souscrire à l’idée selon laquelle les Français font tout mieux que les autres, car dans mon livre, je commence par dire en quoi j’ai échoué comme mère ! Ceci dit, un livre comme Bringing Up Bébé de Pamela Druckerman décrit de manière assez juste la façon dont les parents français savent préserver leur vie d’adulte et ne pas se laisser envahir par leurs enfants. Par exemple, les parents français trouvent légitime de passer une soirée entre adultes en demandant à leurs enfants de rester dans leur chambre ou de s’occuper seuls.

Qu’emprunteriez-vous aux parents américains ? Et aux parents français ?

Les Américains savent faire de leurs enfants une priorité, ce qui est merveilleux. Ils mettent le paquet sur l’affectif, mais ils s’investissent tellement qu’ils font parfois porter à leurs enfants la responsabilité de leur propre bonheur. Les Français valorisent l’esprit critique pour ne pas avoir l’air purement émotionnels, mais ont tendance à se plaindre de leurs enfants, ce qui ne favorise pas l’estime de soi.

Quel est le message principal du livre ?

Contrairement à ce que je pensais, l’amour et l’instinct ne sont pas suffisants pour bien élever ses enfants. Il faut se méfier de son instinct, qui est constitué d’automatismes inconscients hérités du passé, et examiner son propre comportement. La bonne nouvelle est que lorsque l’on comprend ses erreurs, on peut changer totalement d’attitude et réussir en tant que parent.

Alors que les Français caricaturent souvent l’enfant américain comme un « enfant roi », vous recommandez de ne pas trop dire non aux enfants. Pourquoi ?

J’ai compris que l’autorité n’est rien d’autre que le crédit que l’enfant nous accorde, et que c’est une mauvaise idée de la dilapider pour des choses mineures. Il faut choisir ses batailles et faire respecter des règles essentielles de comportement sans se crisper sur des sujets relativement insignifiants. Il n’y a pas de vertu à être constamment négatif, car un enfant habitué à ce qu’on lui dise toujours non aura tendance à ne pas savoir formuler ses demandes, ce qui l’amène à faire des caprices. Bien sûr, l’idée n’est pas de lui laisser faire n’importe quoi, mais simplement de considérer ses désirs comme légitimes, ce qui n’oblige d’ailleurs pas à y céder.


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Parents sous influence : Est-on condamné à reproduire l’éducation de ses parents ? de Cécile David-Weill, Editions Odile Jacob, 2016. 224 pages, 21,90 euros.


Entretien publié dans le numéro de mars 2020 de France-Amérique.