Poutine Party

Des frites, du fromage et une louche de culture franco-canadienne

Plat québécois par excellence, la poutine fait des adeptes jusqu’en Nouvelle-Angleterre. Pour les deux millions de descendants de Canadiens français qui vivent dans la région, c’est une manière de célébrer leurs racines. En témoigne le succès du PoutineFest, qui se tiendra ce samedi dans le New Hampshire.
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C’est le plus grand festival de poutine en dehors du Québec. Timothy Beaulieu, qui organise l’événement avec le Centre Franco-Américain de Manchester, attend 1 100 personnes pour cette sixième édition, organisée à Merrimack, à une heure de route au nord de Boston. Un bon chiffre pour les Etats-Unis, mais sans comparaison avec les rassemblements au nord de la frontière. Sur le Vieux-Port de Montréal en 2019, 100 000 gourmands ont participé au Grand Poutinefest, le plus important festival de poutine au monde !

La poutine n’a pas toujours été aussi populaire. Composé d’une montagne de frites et de grains de cheddar qui crissent sous la dent (le fameux fromage « skouick-skouick »), le tout nappé de sauce brune, cet étrange assemblage imaginé dans le Québec des années 1950 a longtemps été moqué. Les citadins observaient avec dédain ce cousin rural aux origines modestes, ni raffiné ni élégant. Mais peu à peu, la poutine a conquis la Belle Province – et la planète entière.

Symbole de la culture québécoise, elle est aujourd’hui servie dans les bars, les « casse-croûtes », comme sont appelés les snack-bars locaux, les stades de hockey et les chaînes de restauration rapide : Burger King l’incorpore à son menu en 2011, imité deux ans plus tard par McDonald’s. On la retrouve jusque dans les restaurants gastronomiques (poutine au homard, poutine au confit de porc et sauce foie gras), à la Maison Blanche lors d’un dîner d’Etat réunissant Barack Obama et Justin Trudeau en 2016 et même à l’étranger. Paris compte au moins cinq « poutineries » dont La Maison de la Poutine, lauréate en 2020 du concours de la meilleure poutine du monde.

Un symbole culturel

La réputation de la poutine a dépassé les frontières du Canada, mais elle demeure une spécialité québécoise, insiste la jeune génération, qui considère l’appellation « poutine canadienne » une hérésie. Le plat en sauce est devenu un symbole d’appartenance et de fierté. « C’est notre culture », explique Timothy Beaulieu, dont la famille, originaire de Montpellier, est arrivée en Nouvelle-France en 1635 avant d’émigrer aux Etats-Unis au début du XXe siècle. « On est encore là ! »

Entre 1840 et 1930, on estime qu’un million de francophones ont quitté les campagnes du Québec pour aller travailler dans les villes ouvrières de la Nouvelle-Angleterre, berceau de la révolution industrielle en Amérique du Nord. Les Beaulieu sont partis de Saint-Clément, un petit village à proximité de l’estuaire du Saint-Laurent, pour s’installer à Beverly, dans le Massachusetts. Ils œuvraient dans une manufacture de chaussures et parlaient français et anglais à la maison.

Timothy, 40 ans, est issu de la troisième génération d’immigrés aux Etats-Unis. Il a découvert ses racines francophones à l’aide de son grand-père. Trois à quatre fois par semaine, il suit maintenant des cours de français avec une tutrice via l’application Rype. Et se rend aussi souvent que possible au Québec. C’est ainsi qu’il a découvert la poutine, dans un bar de la rue Sainte-Catherine, l’artère commerciale de Montréal. « La poutine est omniprésente là-bas ; c’est comme la pizza ou les ailes de poulet aux Etats-Unis ! Il fallait que les Canadiens français de Nouvelle-Angleterre découvrent ça. »

La poutine mania

Inspiré par un festival similaire à Chicago, qui a depuis périclité, la première édition du New Hampshire PoutineFest s’est déroulée à Manchester en 2016. L’événement a fait sensation sur les réseaux sociaux, les billets ont été écoulés en quatre jours et 1500 « poutiniacs » – une contraction de « poutine » et de l’anglais « maniacs », mordus – ont afflué pour l’occasion au stade des Fisher Cats, l’équipe de baseball locale. « Tous les participants n’étaient pas d’origine franco-canadienne », explique Timothy Beaulieu, « mais c’est l’occasion de leur expliquer notre histoire et notre culture ».

La création de la poutine est postérieure à l’arrivée des Québécois aux Etats-Unis, souligne David Vermette, auteur d’un livre sur cette vague d’immigration. Elle n’est ni « traditionnelle » ni « intégrante à la culture ». Mais comme la chanson « Gens du pays », l’hymne officieux de la province, et le fleurdelisé, le drapeau frappé de quatre fleurs de lys blanches sur fond bleu, officialisé en 1950, elle a été adoptée comme signe de ralliement par la diaspora.

Le drapeau québécois flottera sur le festival, confirme Timothy Beaulieu, et la délégation de la province à Boston fait partie des sponsors. Par ailleurs, quinze étudiants membres du French Club de l’université du New Hampshire seront présents pour accueillir les francophones. Les affamés auront le choix entre dix stands locaux de poutine et autant de recettes différentes : poutine classique, poutine aux œufs, poutine au bacon et au sirop d’érable… Le restaurant le plus populaire remportera une ceinture inspirée de celle des catcheurs et des boxeurs. Rien n’est trop beau pour célébrer « ce trésor québécois » !