The Brief

« Chaque musée est une aventure extraordinaire »

Delphine de Canecaude a passé sa vie à concilier le monde de l’art et le grand public. Après des études aux Beaux-Arts, elle remporte un concours pour créer de toute pièce le musée du cinéma d’Angoulême : les Studios Paradis. Suivra une carrière remarquée dans le secteur du luxe – cette dynamique quadragénaire a notamment fondé l’agence de communication Etoile Rouge, qui a travaillé avec les plus grandes maisons françaises – et la voici depuis février à la tête de Chargeurs Museum Studio. Spécialiste mondial de l’ingénierie et de la production culturelle, l’entreprise française, très implantée aux Etats-Unis, a notamment agencé de A à Z le musée national de l’U.S. Army, le musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines et la nouvelle aile du musée américain d’histoire naturelle, qui vient d’ouvrir ses portes à New York.
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Courtesy of Chargeurs Museum Studio

France-Amérique : Quelles sont les origines et les missions de Chargeurs Museum Studio ?

Delphine de Canecaude : Museum Studio, c’est avant tout la vision de Michaël Fribourg, le PDG du groupe Chargeurs. Dès 2018, il imagine le plus grand studio au monde offrant des services culturels complets pour les institutions, les musées, les fondations et les marques. L’ambition de Chargeurs Museum Studio est d’apporter un soutien unique aux grands décideurs et à leurs équipes pour faire de leur projet culturel une référence marquante et une expérience totale, du lieu physique jusqu’à son prolongement dans la sphère digitale. Chargeurs Museum Studio offre ainsi à ses clients des solutions inédites leur permettant de créer un écosystème culturel vertueux et bénéfique. Nous pouvons développer leur attractivité et leur rayonnement, renforcer leur mission éducative et leur engagement avec le public, suggérer des stratégies pour étendre leurs revenus commerciaux et philanthropiques, et créer des liens profonds avec leurs communautés.

Comment se déroule le cheminement d’un projet, de la première consultation avec votre équipe jusqu’à l’inauguration ?

Nous sommes les seuls à proposer une gamme d’expertises couvrant toutes les étapes de la création d’un musée. Entre la première consultation et l’inauguration, nous réunissons des experts et des équipes talentueuses qui travaillent avec fiabilité, passion, innovation et audace. Le craft est au cœur de tous les métiers. Les conteurs, les designers, les menuisiers travaillent main dans la main pour dessiner des expériences émotionnelles et transmettre un patrimoine culturel. Nous commençons par analyser le brief du client et valider la copie stratégique et économique. Nous posons ensuite la vision : c’est la phase de master planning qui va permettre d’esquisser les points clés du lieu : circulation, flux, points d’attraction, espaces et fonctions, management de l’émotion. Le responsable du projet, que l’on pourrait comparer à un chef d’orchestre, étudie la faisabilité et détermine un écosystème organisationnel qui permettra d’accompagner la maîtrise d’ouvrage. Nous pourrons ensuite réunir, en fonction du projet, des architectes, des conservateurs, des scénographes, des storytellers et entrer dans la phase de conception : médiation, scénographie, storytelling, curation et programmation. Puis arrive la phase de construction : le build ou fit out. Nous avons deux ateliers de fabrication, un en Europe et un aux Etats-Unis, avec plus de 150 artisans, ce qui nous permet de travailler étroitement avec les designers pour réaliser les projets les plus ambitieux. Cette capacité de production en interne nous permet aussi de réduire nos émissions de carbone. L’éditeur de beaux livres Skira [qui a rejoint Chargeurs Museum Studio en 2022] peut accompagner nos clients sur l’éditorialisation de leurs collections et la création d’éditions sur-mesure. Nous concevons aussi l’expérience commerciale, qui se doit d’être singulière et connectée à la marque du musée. Nous offrons enfin des recommandations liées à la digitalisation de l’expérience, du point de vue du contenu, de l’analyse des données, de la numérisation et de la tokenisation des collections.

Le musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines, à Washington, agencé par Chargeurs Museum Studio. © Duncan R. Millar

Chargeurs Museum Studio a déjà livré plus de 3 000 projets dans 30 pays. Parlez-nous des derniers projets en date.

Avec nos équipes chez Design and Production Incorporated, installées à Lorton, en Virginie, nous venons de livrer le Richard Gilder Center for Science, Education, and Innovation, une extension du musée américain d’histoire naturelle de New York. Un espace de plus de 21 000 mètres carrés ! Cette nouvelle aile, conçue par l’architecte américaine Jeanne Gang, comporte notamment un vaste insectarium, une volière à papillons et quatre millions de spécimens stockés sur cinq étages, dont trois sont ouverts au public via de hautes fenêtres. Sans oublier des laboratoires, des salles de classe, une bibliothèque et un théâtre de la taille d’une patinoire, pour une exposition interactive à la pointe de la technologie sur l’interdépendance de toute vie sur Terre. Nous avons aussi agencé le musée Oman Across Ages, qui a ouvert ses portes au mois de mars après presque dix ans de travaux.

Chargeurs Museum Studio est réputé pour son expertise dans le domaine des expériences immersives. Qu’est-ce qu’une expérience immersive au juste ?

Il faut faire attention aux expériences immersives. Certaines sont extraordinaires : je pense notamment à Eternelle Notre-Dame [sur le parvis de la cathédrale et à la Défense, à l’ouest de Paris], qui fait vivre une expérience en réalité virtuelle à la fois émotionnelle et historique, ou à David Hockney: Bigger & Closer (Not Smaller & Further Away) [à Londres], qui réinvente le genre en nous donnant à voir un documentaire XXL et un décryptage du travail de l’artiste et permet au public de mieux se connecter à lui. Chez Museum Studio, nous travaillons sur une offre qui croise les cinq sens, le craft, le spectacle vivant et la technologie. Pour nous, une expérience immersive va au-delà de la simple contemplation des œuvres exposées. Elle plonge les visiteurs dans un monde dynamique, stimulant leurs sens, leurs émotions et leur imagination, tout en favorisant une participation active et une compréhension approfondie du contenu proposé. La clé d’une expérience immersive réussie réside dans l’art de la narration et dans le choix des techniques les plus adaptées.

L’atrium du Richard Gilder Center, une extension du musée américain d’histoire naturelle de New York agencée par Chargeurs Museum Studio. © Iwan Baan
Pour la nouvelle aile du musée américain d’histoire naturelle de New York, Chargeurs Museum Studio a conçu l’expérience immersive et interactive Invisible Worlds. © Iwan Baan

Comment allier culture, éducation et divertissement ?

Je visitais récemment l’exposition permanente du musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines à Washington, que nous avons aménagé, et une médiatrice conduisait un groupe à ce moment-là. « Les musées sont si puissants », disait-elle, « parce qu’ils nous donnent l’occasion de nous voir nous-mêmes dans le flux de l’histoire ». Nos experts pensent le storytelling comme une matière vivante capable de connecter les gens au sujet : c’est notre concept de « culture de l’émotion ». Chaque projet, chaque histoire est une aventure extraordinaire, une quête unique entre connaissance et transmission. Pour aider notre audience à retenir et à embrasser le sujet, nous écrivons les expositions comme des films : c’est un alliage entre rythme, surprise et choc visuel pour provoquer l’émotion et imprimer ad vitam æternam l’instant dans la mémoire des visiteurs.

Etudiante, vous avez effectué un échange au San Francisco Art Institute et dirigez maintenant une entreprise qui travaille beaucoup avec les Etats-Unis. Quelles relations entretenez-vous avec ce pays ?

C’est amusant que vous me posiez cette question. Ce que je retiens, c’est que tout est possible. J’avais décidé de faire un court métrage à San Francisco et avec un peu de volonté, j’ai réussi à filmer dans le métro, faire venir de Los Angeles une équipe de tournage et trouver des dizaines de figurants bénévoles, juste en discutant avec des gens dans la rue et dans les bars ! L’énergie et la détermination à devenir ce que l’on veut ne sont pas juste un rêve.


Entretien publié dans le numéro de juin 2023 de France-AmériqueS’abonner au magazine.