France-Amérique : L’année 2020 a été particulièrement mouvementée, avec de nombreux Afro-Américains tués par la police – dont George Floyd et Breonna Taylor – et les nombreuses manifestations citoyennes relayées au plan national par Black Lives Matter. Comment avez-vous vécu cette situation depuis Paris ?
Jim Browski : J’ai quitté les Etats-Unis il y a dix ans et c’est comme si rien n’avait changé depuis dans le pays ! Il suffit d’en discuter avec les personnes plus âgées que moi pour s’en rendre compte. On continue de nous assassiner aux Etats-Unis. Ça me rend très triste, je suis en colère. C’est frustrant parce qu’on fait tout pour que les choses changent, mais rien ne bouge. On se bat contre un système qui refuse d’évoluer, ou alors trop lentement.
Vous êtes né et avez grandi à Philadelphie. A quoi ressemble le quotidien quand on est noir aux Etats-Unis ?
Dès notre plus jeune âge, les parents, la famille ou les gens du quartier nous mettent en garde en nous disant : « Ecoute, tu es un homme noir dans un pays qui ne veut pas de toi. A chaque fois qu’il y aura un problème, c’est toi que l’on soupçonnera en premier lieu. Tu risques même de te faire tuer. » Dès l’enfance, on apprend à faire attention, à toujours regarder autour de soi, à être constamment en alerte, sous pression. Si on ne se trouve pas dans l’enceinte de notre école ou de notre quartier, on sait que tout peut arriver. On peut nous signaler par erreur à la police ou nous accuser sans raison. La peur est permanente.
Vous vivez depuis six ans à Paris. Qu’est-ce qui a radicalement changé pour vous, par rapport à votre situation aux Etats-Unis ?
Le principal changement, c’est que j’ai le sentiment d’être un traître à ma propre race. Je m’explique : quand vous êtes noir aux Etats-Unis, vous savez comment le système fonctionne et ce qui risque de vous arriver. A Paris, c’est différent pour moi. On me voit d’abord comme un homme noir. Mais dès que j’ouvre la bouche, je deviens le Noir américain. On me perçoit alors moins comme un danger, mais davantage comme un touriste, une source de revenus. L’autre chose qui a changé depuis que je suis en France, c’est que j’ai beaucoup moins peur de me faire tirer dessus. Aux Etats-Unis, se trouver dans le mauvais quartier au mauvais moment peut vous coûter la vie. A Paris, ça ne se passe pas comme ça. Les policiers me regardent, ils peuvent me poser des questions, mais je n’ai jamais peur qu’ils sortent leurs armes. Je suis toujours discriminé, ne vous méprenez pas, mais la situation est un peu meilleure !
Le changement de comportement des Français, quand ils comprennent que vous êtes américain, est flagrant à ce point ?
Oui, c’est fou ! Par exemple, quand j’entre dans un magasin à Paris et qu’il y a un Noir français devant moi, je vois bien qu’il est surveillé. Dans certains cas, l’agent de sécurité est déjà en train de lui poser des questions, parfois de façon agressive. Alors que dans mon cas, ils pensent que je suis touriste et j’ai presque droit au tapis rouge. Parfois, dans les magasins, je fais comme si je ne comprenais pas le français. J’entends le personnel du magasin dire « C’est bon, c’est un Américain ». C’est fou de voir ça, parce que la personne qui se trouve devant moi est identique, pourtant on nous traite différemment.
Des voix s’élèvent contre le parallèle entre le racisme et les violences policières aux Etats-Unis et en France. Qu’en pensez-vous ?
Pour moi, c’est exactement la même chose ! L’oppression existe dans les deux pays. La grande différence, c’est que quand on commence à parler de discrimination en France, les gens répondent qu’ils ne font pas la différence entre les couleurs et qu’il n’y a donc pas de racisme. Je n’ai pas grandi dans ce pays, mais je comprends qu’on ne parle pas de race en France. Ça fait partie du problème. C’est une façon d’ignorer le racisme. Il existe une culture en France qui consiste à pointer les autres pays du doigt et à dire : « Oui, oui, on a quelques soucis ici, mais ce n’est rien comparé à cet autre pays-là. » C’est trop facile. La France ignore ses propres problèmes et rien ne change. Il reste encore beaucoup de choses à régler aux Etats-Unis, mais c’est aussi le cas en France.
Entretien publié en partenariat avec La Revue – Pour l’intelligence du monde et RFI dans le numéro de mai 2021 de France-Amérique. S’abonner au magazine.