The Observer

Bonnes et mauvaises décisions dans l’organisation des JO de Paris

La malédiction du vainqueur qui pèse habituellement sur la ville hôte des Jeux olympiques a encore frappé. Cette fois-ci, c’est à la France de trembler devant la réalité économique des JO, que viennent encore aggraver des polémiques plutôt embarrassantes. Douloureuse, l’expérience pourrait néanmoins donner matière à réflexion à Los Angeles pour 2028.
© Mathilde Aubier

Après avoir perdu face à Londres pour les JO de 2012, Paris se devait, honneur oblige, de poser à nouveau sa candidature pour organiser l’édition 2024, que la capitale française a fini par décrocher. Cela dit, un seul autre concurrent était dans la course, Los Angeles, et non cinq ou six comme souvent. Il faut dire que les métropoles ne se bousculent plus pour accueillir les Jeux, découragées qu’elles sont par des coûts sans fin, les risques financiers et l’opposition de l’opinion publique, sans compter les accusations de corruption lors des appels d’offre. Au final, la plupart des gagnants finissent par maudire leur bonne fortune. Wladimir Andreff, économiste du sport basé en France, commente : « A l’euphorie initiale d’une candidature olympique succède une déception post-olympique, quand ce n’est pas un déficit à payer par les contribuables. » Et d’ajouter : « [Cet] écart entre coûts anticipés ex ante et coûts observés ex post est inhérent au processus d’enchères lui-même. » Cela se vérifie ici une fois de plus.

Le budget initial des Jeux de Paris ne cesse d’enfler, tout récemment encore de 10 %. Etant donné l’inflation nationale annuelle, actuellement autour de 6 %, la facture finale sera plus salée que prévue, malgré des estimations initiales calibrées pour éviter les dépassements massifs enregistrés par les hôtes précédents. Dans le secteur du BTP en particulier, les coûts sont d’ores et déjà soumis à une inflation de 10 %, ce qui inquiète la société chargée de livrer plus de 60 projets, Village olympique compris. L’un des principaux sujets de préoccupation, et pas juste au regard des coûts, concerne la sécurité. Les ressources humaines et matérielles nécessaires pour garantir la sécurité des quelque 13 millions de visiteurs et 15 000 athlètes attendus dépassent l’entendement. La cérémonie d’ouverture en particulier donne le vertige : plus de 200 équipes nationales défileront sur la Seine à bord de péniches spéciales, acclamées par au moins un demi-million de spectateurs. Coûts et contingences correspondants font cauchemarder.

Mais les dépenses ne sont pas le seul problème. Même a priori anecdotiques, d’autres aspects peuvent coûter cher en matière d’image. Prenez la mascotte officielle de Paris 2024 (s’il vous plaît, prenez-la vraiment !). Ces soixante dernières années, chaque édition des JO a eu son propre talisman, généralement un humanoïde ou une créature insolite et mignonnette censée symboliser l’esprit des Jeux et promouvoir l’histoire et la culture de la ville d’accueil. Aussi, quand le Comité d’organisation a chargé un groupe (ou une cabale) d’agences de communication de trouver ce qui pourrait incarner la capitale, la culture et les prouesses sportives de la France, ces génies créatifs ont opté pour un symbole fort à leurs yeux : un chapeau rouge anthropomorphe animé. Et pas n’importe quel chapeau évidemment, mais un bonnet phrygien, symbole par excellence de la Révolution française. Vous avez bien lu : les Jeux de Paris 2024 seront symbolisés par une paire de couvre-chefs hominidés – l’un pour les Jeux olympiques, l’autre pour les Jeux paralympiques – appelés « les Phryges ». Selon Tony Estanguet, triple médaillé d’or en canoë et président du Comité, ce choix a été motivé par le désir de mener une révolution par le sport. « Plutôt qu’un animal, nous voulions représenter un idéal », a-t-il expliqué. Un choix peut-être pas si idéal que cela.

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© Mathilde Aubier

Si vous méconnaissez l’histoire de France, sachez que le bonnet phrygien était un chapeau sans bord dont la pointe rembourrée retombait vers l’avant. Tirant son nom d’un ancien royaume d’Asie mineure, il était initialement porté par les esclaves romains affranchis. D’où son autre appellation : « bonnet de la liberté ». Il est réapparu sporadiquement au Moyen Age en signe de protestation, s’imposant comme la coiffe de choix des deux grands mouvements révolutionnaires républicains du XVIIIe siècle en Amérique et, de façon plus tangible, en France. Le bonnet phrygien y est inextricablement associé à Marianne, allégorie de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, et symbole parmi les plus visibles et les plus forts du républicanisme français.

Adoptée juste après la Révolution comme emblème de la nouvelle république, Marianne a pris une place certaine dans la mythologie nationale avec sa représentation, au XIXe siècle, par le peintre romantique Eugène Delacroix. Le tableau La Liberté guidant le peuple montre en effet une Marianne sein nu, bonnet phrygien sur la tête, qui brandit le drapeau tricolore en exhortant un groupe de révolutionnaires à franchir une barricade enfumée. Aujourd’hui, c’est cette Marianne au bonnet qui incarne la République française, une sorte d’Oncle Sam tombé en quenouille. On voit sa silhouette en en-tête des communications officielles des pouvoirs publics, et son buste sculpté trône dans les mairies et de nombreux bâtiments publics en France.

Singulièrement, le caractère révolté de ce bonnet rouge perdure : en 2012, les manifestants opposés à la taxe environnementale proposée par le gouvernement ont hérité du qualificatif de « Bonnets rouges » en référence à une protestation antifiscale similaire quelques siècles plus tôt. Pourtant, malgré son héritage classique, et alors que le bonnet phrygien figure sur le sceau du Sénat américain, sa pleine signification n’est pas immédiatement identifiable hors de France. Donc quand M. Estanguet qualifie la nouvelle mascotte olympique de « franco-française », son choix de mots est, disons-le, malheureux.

Mais l’ignorance de l’histoire n’est pas le seul problème que soulèvent les Phryges. Prenons leur prononciation. Pour les francophones, pas de problème. Mais à entendre les médias étrangers lors de la conférence de presse inaugurale, le rendu le plus probable chez les non-francophones serait plutôt the fridges – ce qui risque de faire penser aux Phryges-idaires ! Grammaticalement, le Comité d’organisation a officiellement décidé d’assigner au nom le genre féminin (une Phryge), tout en utilisant le pronom indéfini it dans ses présentations en anglais. C’est peut-être un détail pour la plupart des gens, mais gare au tapage si la Gestapo de la grammaire s’en mêle.(Souvenez-vous de la cacophonie autour de « le » ou « la Covid » !) Plus sérieusement, la révélation que plus de 80 % des mascottes seront produites en Chine a soulevé une vive critique, encore exacerbée par les fragiles explications officielles faisant valoir des « problèmes d’approvisionnement ».

L’aspect le plus gênant reste toutefois sa représentation visuelle, tout étant dans la perception de l’observateur. En bref, les gens voient ce qu’ils veulent. Interdit par ce qu’il a décrit comme « un émoji en forme de crotte rouge », Paul Newberry, journaliste sportif américain, a conclu que les Phryges avaient été retenues à la fin d’une réunion bien arrosée, les organisateurs s’écriant : « Hey, pourquoi ne pas coller des yeux et des jambes à ce bonnet hideux et en faire notre mascotte ? » D’autres observateurs se sont montrés tout aussi acerbes, assimilant cette mascotte à tout et n’importe quoi, entre autres à un poulet dopé ou un chapeau de Schtroumpf endommagé. Mais l’interprétation la plus polémique – et la plus drôle– reste celle d’un clitoris géant en baskets. Les réseaux sociaux se sont enflammés à la mesure des commentaires abasourdis devant la maladresse du Comité d’organisation, « sans doute composé exclusivement d’hommes ».

Sur la twittosphère française, l’essentiel des réactions se résume à : comment peut-on être aussi bête ? « On aurait pu avoir un béret, une baguette, non on a choisi un bonnet phrygien qui ressemble à un clito. » Les femmes en particulier se sont engouffrées avec bonheur dans la brèche : l’une a ironisé qu’aucun de ses petits-amis n’avait su trouver sa mascotte Paris 2024 à elle ; une autre a tenu à saluer avec force le choix du Comité dans la mesure où pour la première fois, a-t-elle expliqué, des mecs ont réussi à identifier un bouton d’amour. Les agences de com, de leur côté, ont reçu les félicitations sarcastiques des féministes pour avoir sensibilisé le monde entier à l’anatomie du plaisir féminin. Libération, journal de gauche, a exprimé sa satisfaction de ne plus voir Paris être systématiquement associé au symbole phallique de la tour Eiffel.

Sarcasme mis à part, il est certainement dommage que ce qui était supposé être un projet original, dynamique et inclusif souffre d’un retour de bâton aussi gratuit. Selon la présentation officielle, les Phryges sont supposées faire bouger la France et encourager la pratique du sport, pas devenir les personnages d’une grosse farce olympique.

Dans les dix-huit mois à venir d’ici juillet 2024, beaucoup reste à faire et les défis à relever ont de quoi intimider. Mais les aspects positifs contrebalanceront le négatif. Aussi bien Paris que Los Angeles comptent changer irrévocablement la perception des Jeux olympiques, comme celle du rôle de la ville hôte. La première priorité est la maîtrise des coûts. Malgré une poussée inflationniste inévitable due à la conjoncture mondiale, le Comité d’organisation parisien a promis de dépenser uniquement ce qu’il serait capable de générer comme revenus (le président Emmanuel Macron a averti que le gouvernement ne lèverait pas d’« impôt JO » pour couvrir un quelconque déficit). Autre sujet de taille : l’impact environnemental. Paris et Los Angeles se sont engagés, ensemble, à s’inspirer de l’expérience des précédentes villes hôtes pour produire les Jeux les plus verts de l’histoire moderne. Dans une déclaration conjointe, les maires des deux métropoles, qui dirigent également le C40 Cities Climate Leadership Group, ont souligné qu’accueillir les Jeux olympiques ne devait pas faire exception à cette ambition. C’est même là une opportunité unique de montrer au monde les actions possibles. Donc, en espérant que la Cité des Anges choisisse soigneusement sa mascotte, les deux prochaines éditions devraient redéfinir les règles à suivre pour la suite.


Article publié dans le numéro de janvier 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.