Le 45e président des Etats-Unis avait bien quelques supporters en France, mais dans des milieux politiques nationalistes restreints et chez quelques intellectuels fantasques pour qui le populisme apparaissait comme une idéologie alternative. (Le Comité Trump France, qui œuvre « pour la trumpisation de la France », compte quelque 30 000 abonnés sur les réseaux sociaux.) On rappellera que Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (ex-Front national), se précipita, en 2017, à New York avec l’espoir, déçu, de rencontrer le nouveau président d’alors.
Mais au total, chez les dirigeants français, comme dans la population profonde, Trump était perçu comme, au mieux, incompréhensible et au pire, dangereux. Incompréhensible, contrairement à Barack Obama fort populaire et naguère à Ronald Reagan, également apprécié. A l’inverse, les manières, les codes de comportement et les tweets de Trump laissaient les Français interdits. Où donc voulait-il en venir ? L’absence de décorum que les Français, vieille nation aristocratique, attendent d’un chef d’Etat, au fond les choquait. De même, Trump puisait dans une mythologie incompréhensible vue de France : l’exaltation de la richesse fut-elle mal acquise, le mépris des femmes et des minorités sexuelles et la célébration de la race blanche.
Les Français ne sont pas globalement favorables à l’immigration, mais nul ne tolérerait la séparation des enfants de leurs parents, furent-ils illégaux, à la manière dont procédait aux frontières la police de Trump. Et en admettant que Trump fut, dans son pays, soutenu par ce qui serait en France l’équivalent des Gilets jaunes, les marginaux des régions oubliées, je ne sache pas que les Gilets jaunes français se reconnaissaient en Trump, milliardaire, fort en gueule et résolument hostile à toute aide sociale.
C’est donc bien le soulagement qui l’emporte. En témoigne les message de félicitations à Biden exprimés par la quasi-totalité des milieux politiques, intellectuels et économiques en France. « Les Américains ont désigné leur président », a déclaré Emmanuel Macron sur Twitter. « Félicitations @JoeBiden et @KamalaHarris ! Nous avons beaucoup à faire pour relever les défis d’aujourd’hui. Agissons ensemble ! » (Emmanuel Macron a plus tard appelé Joe Biden pour le féliciter personnellement.) Soulagement légitime, parce que Trump, réélu, plus encore que le Trump sortant, aurait fait peser sur la France de lourdes menaces, économiques, militaires et stratégiques.
La préférence de Trump pour la fermeture des frontières au commerce international pesait déjà sur des exportations françaises, comme le vin, le roquefort, les yaourts, le savon, le rouge à lèvres ou les sacs à main, otages de la taxe GAFA, mais se serait encore aggravée en un temps de récession mondiale. La bataille tarifaire entre Boeing et Airbus aurait dégénéré en une guerre commerciale pour le plus grand tort de nos deux pays. L’OTAN ? Donald Trump l’aurait probablement quittée, comme il a quitté l’Accord de Paris sur le climat, laissant l’Europe seule, impréparée, contre des ennemis potentiels comme la Russie, la Turquie et l’Iran.
De Biden, que l’on connaît surtout en France pour son rôle de vice-président sous Barack Obama, on n’attend pas de grande embrassade, mais une fidélité à l’alliance franco-américaine et surtout un comportement prévisible et digne qui correspond à ce que les Français attendent d’un président américain, quelle que soit son appartenance partisane. Et nul doute que Kamala Harris sera accueillie avec enthousiasme.